MAXIMISER LES RETOMBÉES DES CONTRATS PUBLICS
Par André Goulet, aménagiste des territoires naturels, ing.f., M.Sc., Isabelle Marcoux, géographe, DESS A.A. et Nicolas Bergeron, biologiste, Tech. faune, M.Sc.
24 avril 2018
Un atout en dormance
Les enjeux collectifs auxquels fait face la société sont multiples. Pour n’en nommer que quelques-uns, on peut identifier le financement des organismes communautaires, la mobilité durable, l’équité salariale, l’adaptation aux changements globaux, la lutte aux changements climatiques, etc. Y répondre nécessite des ressources gigantesques et malheureusement limitées.
Or, les municipalités et MRC, de même que la plupart des institutions publiques et ministères, possèdent un atout stratégique duquel elles tirent peu, sinon pas du tout profit pour générer des retombées économiques, écologiques et sociales accrues sur le territoire et sur les collectivités : elles donnent des contrats publics.
À l’échelle des régions du Québec, les organismes publics accordent, à travers des processus d’appels d’offres de gré à gré, sur invitation (contrats entre 25 000$ et 100 000$) ou publics (contrats de plus de 100 000 $), des centaines, voire des milliers de contrats publics chaque année. La valeur annuelle de ces contrats régionaux est certainement de l’ordre de plusieurs millions de dollars.
Traditionnellement, les contrats publics sont octroyés sur la base du prix des soumissions, ou, lorsque la valeur des contrats devient plus importante, sur la base de critères additionnels comme la compréhension du mandat à accomplir, l’expérience de la firme et du chargé de projet, les ressources techniques de la firme, etc. Ces critères, essentiellement économiques et de performance, évacuent les questions sociales et environnementales et n’abordent pas l’ensemble de la question économique des activités des soumissionnaires.
Penser « en dehors du cercle »
Or, tenir compte de ces importantes questions permettrait de « penser en dehors du cercle économique » et constituerait précisément une stratégie de « changement d’échelle », essentielle pour un réel développement durable (figure 1).
Gardien de l’intérêt commun, le monde municipal pourrait « appâter » les processus et devis d’appel d’offres et les utiliser comme leviers afin de contribuer à répondre aux divers enjeux de société.
Il ne s’agit pas ici de seulement bonifier les exigences d’un contrat à octroyer, mais de demander à évaluer le bilan, preuves à l’appui, des soumissionnaires en matière d’initiatives favorisant le progrès social, la protection de l’environnement et le développement économique autre que productiviste. Ce bilan devrait démontrer toute l’étendue des solutions imaginées par les organisations soumissionnaires à cet égard : celles ayant un impact interne sur l’organisation, mais surtout celles en ayant un externe, localement ou régionalement.
Ainsi, plutôt que de simplement demander et d’évaluer, par exemple, les années d’expérience de l’équipe de travail des soumissionnaires, les titulaires de charge publique pourraient également évaluer le bilan des soumissionnaires sur la base de critères tels :
- La proportion des bénéfices versée aux employés de manière à optimiser les retombées économiques collectives, notamment par l’augmentation de l’utilité marginale des profits organisationnels issus des contrats publics et versés aux dirigeants vs aux employés
- La place laissée dans l’organisation à la formation continue rémunérée valorisant les organisations d’enseignement
- Les mesures prises pour favoriser le bénévolat des employés
- Les moyens mis de l’avant pour contribuer au transport actif
- Les dons aux organismes de bienfaisance ou collectifs
- L’implantation d’un programme de bourse étudiante
- Dans une perspective d’économie de proximité, les efforts pour améliorer la situation économique, écologique et sociale d’une région
Un détournement de pratiques
Un pourcentage (10%, 20% voire 30%) de la note donnée aux soumissionnaires dans le cadre du processus d’appel d’offres pourrait de sorte être sciemment détourné vers le savoir-être corporatif, vers la durabilité de leurs organisations et de leurs actions, ainsi que vers la collectivité.
Récemment appliquée en situation réelle dans le cadre d’un appel d’offres dans la MRC d’Argenteuil, l’idée pour le monde municipal n’est dès lors plus de donner, mais d’exiger. La fin devient triple : 1) saisir une opportunité, celle du nivellement par le haut des pratiques de développement durable des soumissionnaires lors des processus d’appel d’offres, 2) accroître les retombées des contrats publics en soutenant la mission d’organismes à vocation collective (OBNL, organisme de bienfaisance, institutions, certaines coopératives de solidarité) et, conséquemment, 3) atténuer le lien de dépendance entre plusieurs organismes à vocation collective et les organisations municipales et gouvernementales, par la diversification de leurs sources de revenus.
Imaginons que toutes les organisations publiques du territoire concourent à implanter dans leurs processus d’appel d’offres de telles mesures et supposons seulement que ces dernières aient un effet évalué à 1% de la valeur totale des contrats accordés. Il est plausible que ces mesures contribueraient, par exemple, à financer une société d’histoire, à désengorger le réseau routier par la mobilité active, à reboiser un quartier de façon à lutter contre les changements climatiques, à améliorer la qualité de l’eau, à favoriser l’équité salariale, à concilier la vie travail-famille, à financer une maison de soins palliatifs, etc.
De l’émulation au réflexe
À l’heure des changements globaux impliquant une forte croissance démographique, où chaque parcelle de territoire est appelée à jouer des fonctions accrues, il convient désormais de mettre en place des conditions favorisant un nouveau comportement, un nouveau paradigme, un « changement d’échelle » de la part des organismes soumissionnaires, petits et grands, privés ou collectifs, qui bénéficient des contrats publics. Nouveau réflexe s’il en devient un, on les amènera à contribuer eux-mêmes à la pérennité des organisations collectives, ainsi qu’à la durabilité de leurs actions et des territoires.
L’appât du gain pécuniaire faisant bien les choses, les adjudicataires des contrats octroyés ne sont pas nécessairement ceux qui sont visés par un tel appeau public. Ce sont paradoxalement les perdants, plus nombreux, qui sont mirés. Après avoir perdu deux ou trois contrats publics en raison de l’absence ou de l’insuffisance relative de mesures de développement durable dans leurs organisations ou dans leurs opérations, des changements de comportement seront probablement pressentis. Mieux, une escalade, voire une saine compétition vers la durabilité entre soumissionnaires pourra alors être envisagée.
Oui mais…
…les contrats publics de gré à gré ne pourraient y être assujettis !
Une approche similaire peut être utilisée dans le cadre des contrats publics transigés de gré à gré. Par exemple, pour faire partie d’une liste de fournisseurs publics, une organisation municipale pourrait exiger des soumissionnaires de répondre à une politique d’octroi de contrats publics spécifiant les clauses de développement durable minimales, voire idéales, à respecter pour être éligibles à offrir leurs services.
… les prix des soumissionnaires augmenteraient !
Il est peu probable que les modifications au contenu des appels d’offres publics telles que proposés dans cet article se soldent sur une hausse des prix des contrats publics et ce, :
- en raison du grand nombre de soumissionnaires appelés et de la nature compétitive des processus appels d’offres, notamment en raison du poids élevé des prix soumis dans les processus d’octroi de contrats publics
- puisque certains soumissionnaires n’investiront que timidement, sinon jamais, dans des mesures de développement durable internes ou externes à leurs organisations, maintenant du coup une pression à la baisse sur les prix
- parce que certains soumissionnaires investissent déjà dans des mesures de développement durable, mais sans reconnaissance toutefois
- parce que suite à l’adoption de mesures de développement durable, certaines entreprises feraient les choses seulement autrement (par exemple, elles pourraient décider de publiciser leurs supports à un événement citoyen plutôt que d’opter pour des campagnes de publicité traditionnelles)
- parce que ces entreprises pourraient dans plusieurs cas obtenir des crédits fiscaux pour certaines de ces activités de développement durable qu’elles déploieraient
- parce que des entreprises d’économie sociale, dont le nombre va en grandissant, pourraient être également tentées de se constituer et de participer à de tels appels d’offres publics
- puisque l’atteinte à l’égo de certains soumissionnaires perdants des appels d’offres pourrait induire des changements
Évidemment, le monde municipal devra inévitablement persévérer à soutenir financièrement l’intérêt commun, mais devant une loi sur le Développement durable à laquelle il n’est pas assujetti, il devrait désormais également donner le ton, montrer l’exemple en mettant en place les conditions permettant de générer des flux d’initiatives et de solidarité au plan du développement durable partout sur le territoire.